1904 – 2011 : un même chemin

par Marc Blondel

Théolib (revue protestante libérale) et la Fédération nationale de la Libre Pensée ont décidé de rééditer en commun les Actes du Congrès mondial de la Libre Pensée de Rome de 1904. Cette décision est d’une importance historique et militante qui n’échappera à personne.

1904 fut, sans contestation possible, le plus grand des congrès internationaux de la Libre Pensée. Et ce, tant par le nombre des participants libres penseurs (voir la liste des délégués) que par la qualité des orateurs et des personnalités présentes.

Bien entendu, le moment fut l’un des éléments déterminant de cette réussite. La France était au cœur du combat laïque. Enfin, le pays de la Révolution allait parachever l’œuvre de 1789 par l’adoption du principe de la séparation des Églises et de l’État ! La liberté absolue de conscience allait s’affirmer dans un pays consacré par la monarchie à la Vierge Marie et baptisé pour « l’éternité » : fille aînée de l’Église.

Le Congrès de Rome, dans un même mouvement, va littéralement élaborer la loi française de séparation et graver dans le marbre de l’histoire les fondements internationaux de la Libre Pensée. Nous invitons les lecteurs à se replonger dans les débats de l’époque pour voir et découvrir l’étonnante actualité et la puissante modernité des principes élaborés dans le berceau de la civilisation romaine en ce début du XXe Siècle.

Quand l’esprit devient matière

Les trois motions élaborées, écrites et défendues par Ferdinand Buisson seront adoptées dans l’enthousiasme par les délégués réunis. L’esprit allait devenir matière. Un an après, en France, les principes vont devenir réalités dans la loi du 9 décembre 1905. Une nouvelle fois, la lueur s’est allumée dans la Rome païenne et la lumière va éclairer le monde dans le Paris laïque.
Si la lutte pour la séparation des Églises et de l’État était le socle de l’union des libres penseurs sur tous les continents, le combat pour l’émancipation intégrale de l’Humanité était aussi l’objectif commun. C’est pourquoi, le responsable radical « bourgeois » libre penseur Ferdinand Buisson écrivait et votait avec les libres penseurs socialistes et marxistes « prolétariens » que « la Libre Pensée est laïque, démocratique et sociale, c’est-à-dire qu’elle rejette, au nom de la dignité de la personne humaine, ce triple joug : le pouvoir abusif de l’autorité en matière religieuse, du privilège en matière politique et du Capital en matière économique ».
Cette loi de séparation est connue dans le monde entier, elle est la gloire de la République. C’est le phare qui guide le monde sur son chemin d’émancipation intégrale. Dans toutes les réunions auxquelles participe la Libre Pensée française, les laïques, les libres penseurs, les humanistes et les athées des différents continents nous demandent toujours de nous accrocher bec et ongles à la défense de la loi Buisson/Briand.

Un roc indestructible

Elle est le roc indestructible sur lequel convergent toutes les volontés, à travers le monde, en lutte pour l’avènement de la laïcité et la sécularisation des sociétés. C’est sans doute pourquoi notre pays a toujours su se mobiliser de manière imposante pour défendre cet acquis séculaire. Bien qu’écornée sérieusement par le sinistre régime de Vichy, le cadavre n’est toujours pas à terre, et l’idée est toujours debout.

Beaucoup ont essayé de liquider le grand œuvre républicain, mais tous ont dû en rabattre. Le dernier en date est Nicolas Sarkozy, l’actuel Président, qui, avec force tambours et trompettes, annonçait le toilettage au karcher de la loi de 1905. La séparation des Églises et de l’État, qui vit intensément dans la conscience laïque des citoyens de ce pays, a été défendue. Et les Badinguet de service ont du reculer.

Protestant et libre penseur

Ferdinand Buisson était un grand laïque et un libre penseur incontesté, il s’affirmait protestant libéral. A l’époque, la Libre Pensée était composée de libres croyants, d’agnostiques et d’athées. Aucun des libres penseurs ne « pratiquait » religieusement, selon la formule « consacrée ». Certains croyaient au Grand horloger, au Grand Architecte, à un principe organisateur, à une vague divinité informelle ; mais aucun ne mettait genou à terre.

C’est dans cette tradition que les statuts de la Fédération nationale de la Libre Pensée française font obligation à ses adhérents « de n’accomplir personnellement, aucun acte religieux et de déposer leur testament, en vue de leurs obsèques purement civiles, aux archives de leur groupement ». Il ne saurait être question d’y déroger.

Afin de renouer avec cette tradition historique, la Fédération nationale de la Libre Pensée a rencontré des protestants libéraux qui inscrivent leur démarche en référence explicite et revendiquée à Ferdinand Buisson. Certains ont rejoint notre association en tant qu’individus libres et non en groupe organisé.

Il n’y a là, non seulement, aucune contradiction, ni pour eux, ni pour nous ; mais, bien au contraire, une remarquable continuité historique. Pourrions-nous refuser de compter parmi les nôtres les héritiers du grand libre penseur Ferdinand Buisson ? Poser la question, c’est y répondre. Faire l‘inverse aurait fait œuvre d’un profond sectarisme, ce qui est totalement étranger à la démarche du libre penseur authentique.

Quand la France aurait dû devenir protestante

De plus, n’oublions pas notre histoire. La France aurait dû être protestante. Tel était le chemin de la modernité. Par une coalition réactionnaire, la monarchie et le Vatican ont pu faire tourner la roue de l’Histoire à l’envers pour un temps. Mais le fleuve impétueux du progrès humain a triomphé par cet évènement exceptionnel que fut la Grande révolution, selon l’heureuse formule de Kropotkine.

La digue catholique s’est effondrée, la modernité est passée. Et c’est tout naturellement que les protestants, ailleurs partisans de l’ordre établi (voire Luther et la révolte des paysans en Allemagne et Calvin le très conservateur à Genève), se sont toujours joints en France, aux idées des libertés démocratiques. C’est ce qui explique la part indéniable du protestantisme dans la lutte pour la séparation des Églises et de l’État.

Cette part d’histoire entre les libres penseurs et les protestants libéraux, nous l’avons parcouru ensemble sur les chemins de liberté. Que nous nous retrouvions ensemble aujourd’hui n’est que justice. C’est la marque aussi d’une volonté de renouer avec le passé pour mieux construire l’avenir.

Que chacun lise ce livre et la compréhension commune de la Libre Pensée se fera jour à tous. Cet ouvrage retrace les plus belles pages de l’histoire de notre Libre Pensée. Le Congrès mondial de 1904 est la référence incontournable pour toutes les associations de libre pensée à travers le monde.

L’action internationale de la Libre Pensée

La Libre Pensée française est à l’initiative de la constitution du Comité International de Liaison des Athées et des Libres Penseurs (CILALP), lors du Congrès mondial de la Libre Pensée en 2005 à Paris. Cent ans après celui du Trocadéro, ce fut bien plus qu’un symbole, mais bien un chainon supplémentaire de la grande chaîne d’union humaine.

Dans la discussion actuelle pour élaborer internationalement et de manière commune les futurs statuts de l’Association Internationale de la Libre Pensée (AILP), la référence principielle et organisationnelle repose essentiellement sur les travaux du congrès de Rome de 1904.

Lors du Congrès mondial de la Libre Pensée, tenu le 4 juillet 2005 au Conseil économique et social à Paris, fut prise la décision de constituer le Comité International de Liaison des Athées et des Libres Penseurs (CILALP). Cent après le Congrès du Trocadéro, à moins d’un kilomètre de distance, les libres penseurs de tous les continents se réunissaient à nouveau pour dire la même chose : Il nous faut une Internationale de la Libre Pensée.

Depuis, les libres penseurs, en liaison étroite avec l’Union Internationale Humaniste et Laïque (IHEU), dont de nombreuses associations athées et libres penseuses sont membres, ont l’ambition de construire une nouvelle Internationale : l’Association Internationale de la Libre Pensée (AILP), lors du Congrès international de l’IHEU à Oslo en Norvège, en août 2011.

1904, 1905, 2005, 2011

Rome 1904, Paris 1905, Paris 2005, Oslo 2011 ; ce sont les éléments d’une chaîne d’union internationale pour briser les fers de l’oppression religieuse, politique et économique. Dans les fJords norvégiens, nous renouerons avec la ville des sept collines pour aider l’Humanité à s’émanciper. Tel est notre combat, telle est notre action. Nous n’y dérogerons pas.

Le pari est risqué, le pronostic incertain, l’enthousiasme au rendez-vous, la volonté toujours présente. Nous sommes ce que nous sommes : toujours prêts au combat. Libre penseur un jour, libre penseur toujours.

J’en appelle à tous.

Marc Blondel
Président de la Fédération nationale de la Libre Pensée française

Fédération internationale de la Libre-Pensée

Actes du congrès de Rome • 1904

Le Congrès de 1904 est resté comme l’un des temps forts, peut-être le temps fort, de l’histoire de la Libre-Pensée. Ce fut une impressionnante démonstration de force des partisans de la laïcité, réclamant l’adoption de la loi de Séparation des Églises et de l’État. Le lieu choisi témoigne amplement de la volonté de lancer un formidable défi à l’une des plus redoutables puissances d’oppression et d’asservissement de l’époque : l’Église catholique.

Ce Congrès fut aussi un modèle du genre, et à plus d’un titre. D’une part, il témoigna de la capacité fédérative de le Libre-Pensée, rassemblant, sur la base de la liberté de conscience et d’un projet d’émancipation et de justice sociale, l’ensemble des forces de progrès. D’autre part – fait non moins remarquable – il eut également pour objectif de dresser un panorama des savoirs, associant à la dimension militante une approche intégrale de l’humain.

Certains écrits pourront sembler datés, voire exotiques (peut-être en sera-t-il ainsi de la communication d’Ernest Haeckel, pourtant l’un des grands esprits de son temps). D’autres demeurent d’une étonnante actualité. Parmi les temps forts de ce Congrès, comment ne pas retenir la confrontation des motions Buisson et Doizié, et ce modèle de sens démocratique qui consiste à défendre, de part et d’autre, le point de vue qui n’est pas le sien ?

Relire ces Actes permet aussi de mesurer à quel point connaître notre histoire peut aider à penser les défis du temps présent : le contexte a un peu changé, les questions demeurent les mêmes.