Réflexions philosophiques et politiques sur le temps qui passe et un monde qui meurt

par Christian Eyschen

Ce vieux monde sent l’inquiétude et l’agitation et il sent toujours la poudre. Moins cela va, moins cela va et plus les cercles dirigeants agitent des hochets pour amuser le bon peuple. Jamais la formule « les jeux et le cirque » n’aura été autant d’actualité.
Dans un pays en crise avec des millions de chômeurs, une perte du pouvoir d’achat pour des millions de personnes, une crise sociale sans précédent, il faut bien trouver un dérivatif, car pour tous les gens « importants », il ne saurait être question de s’attaquer à la racine du problème : le système capitaliste qui conduit l’Humanité à la ruine et la misère.
Donc, on va amuser la galerie, le pouvoir, tous les pouvoirs vont amuser le bon peuple. On va donc faire du « sociétal » pour détourner la société des véritables questions et enjeux. Ce faisant, une emprise totalitaire se met doucement en place.

La part des libertés démocratiques ne cesse de se réduire

L’instrumentalisation de la question de l’Islam et de ses supposés conséquences (Burqa, Voile islamique, etc..) n’a qu’une seule conséquence, pour ne pas dire un seul objet. L’Etat doit dire ce qui est bon et ce qui n’est pas acceptable. C’est la police des consciences qui se met en place.

La question de l’enseignement de la morale dite « laïque » relève de ce processus. Il ne saurait y avoir de morale « laïque », car il n’existe pas de morale « religieuse ». Il n’y a qu’une morale humaine. La morale qu’appelle de ses vœux le gouvernement est une morale d’Etat qui entend s’inscrire dans le maintien de l’ordre social. En rang par deux, je ne veux voir qu’une seule tête !

L’État (que l’on confond allégrement avec la République, ce qui n’est pas la même chose. L’Etat est malheureusement une réalité, alors que la République est toujours un devenir) devient l’arbitre des élégances. Il est l’arbitre suprême. On voit ainsi de soi-disant « libertaires », « révolutionnaires », « démocrates », « républicains », « laïques » se faire les chantres de la répression et de rappel à la loi pour réprimer tout ce qui dépasse et qui ne plaît pas.

Chacun confond son désir personnel, son opinion et ses choix avec la République. Si j’aime, tout le monde doit aimer. Si je déteste, tout le monde doit détester. C’est une conception où l’on confond allègrement l’opinion de quelques-uns avec l’intérêt général.

C’est, il faut le dire, une conception fasciste, totalitaire. C’est assimiler le Un dans le Tout. Il n’y a plus de place pour l’individu, la liberté individuelle, la liberté de conscience. L’individu est sommé de se soumettre à la communauté.

On peut d’ailleurs mettre « communauté » au pluriel, ce n’est que mieux pour l’aventure totalitaire. C’est le modèle anglo-saxon, qui sait ce qu’est de gouverner un empire colonial de communautés. C’est diviser pour régner.

Les apprentis totalitaires

Certains se sentent investis d’une mission divine. Ils n’ont pas été à Reims, mais ils sont oints quand même. Tels des chevaliers blancs, ils enfourchent leurs fiers destriers pour bouter le Maure hors des frontières. Comme tout croisé, ils sont des assassins d’une part de l’Humanité.

Les grandes lois de libertés laïques (1881, 1882, 1886, 1905) sont basées sur un principe intangible. Il y a deux domaines : la sphère publique et la sphère privée. Autant il est juste et nécessaire d’interdire toute forme d’expression religieuse dans la sphère publique, car il y a une obligation de neutralité de la République et de ses agents (fonctionnaires), autant le corollaire est d’étendre au maximum la sphère privée, car c’est une garantie de l’exercice réel des libertés démocratiques qui ne peut exister que dans la sphère privée, là où toutes les opinions sont libres et concurrentes.

La sphère privée n’étant pas, bien sûr, la sphère marchande. N’en déplaise aux Philistins de tous poils qui se chargeront de me faire ce procès. Elle est la sphère, à la fois de l’intime, et aussi du collectif qui permet l’expression de toutes les opinions. C’est un constat désolant, mais l’espace où les libertés démocratiques s’exercent ne cesse de se réduire. C’est ce qui explique notre prise de position fondamentale sur l’affaire Baby-Loup qui, pour nous, est une affaire totalitaire par essence.

Certains aussi, pour conforter leurs errements, en viennent à inventer littéralement des « catégories politiques » qui n’existent que dans leur imagination. C’est ainsi que pour ces fumeux funestes, il y aurait entre la sphère publique et la sphère privée, un espace public voire « social » dont on ne sait ni où il commence, ni où il finit, ce qui est la définition même de la notion d’espace.

Par contre, ce que l’on a bien compris dans cette rêverie, c’est que la sphère privée est réduite à une peau de chagrin. Les mêmes en sont même à délirer pour exiger que les nounous dans leur appartement privé respectent la laïcité, il ne doit y avoir aucun signe d’appartenance religieuse quand on garde des bébés chez soi.

De plus en plus, nous sommes dans un Etat policier

Ceux qui ne cessent, au nom de leurs opinions qu’ils érigent en vérités révélées, d’exiger que la « laïcité » s’applique en tous lieux, ne font que réduire sans cesse la place de la sphère privée par rapport à la sphère publique et ainsi porter atteinte au fondement même de la loi de Séparation des Eglises et de l’Etat du 9 décembre 1905.

Ils sont des apprentis-sorciers, des apprentis totalitaires. Pour faire triompher leurs opinions, ils appellent l’Etat à réprimer, à interdire sans cesse. Toute la lutte des révolutionnaires authentiques a toujours été d’amoindrir la puissance répressive de l’Etat pour permettre à la lutte de classe de jouer son rôle et de faire jouer la « dérive des continents ». Il est particulièrement affligeant de voir certains « libertaires » se faire les chantres zélés de cette opération par pur délire d’être « anti-rouges ».

Plus la sphère « publique », où s’applique logiquement et nécessairement les interdictions, est grande, moins il y aura de libertés démocratiques. Vouloir étendre les impératifs d’interdiction est un acte liberticide, car cela réduit le champ où s’appliquent les libertés démocratiques fondamentales.

Nous nous situons toujours dans la pensée de Rosa Luxembourg : « La liberté, c’est toujours la liberté de celui qui pense autrement ». Être un démocrate impose de respecter ce principe. Être un totalitaire conduit toujours à l’ignorer.

La question de l’affaire Valls/Dieudonné, une opération totalitaire à deux bouts

Cette affaire aura montré l’étroite collusion d’intérêts entre les deux protagonistes qui se sont mutuellement confortés dans ce « conflit ». Il ne saurait être question pour la Libre Pensée de cautionner l’opération de « maintien de l’ordre » du Ministre de l’Intérieur. Nous sommes, libres penseurs, contre toute forme du « maintien de l’ordre », fusse-t-il public et « républicain », car il ne s’agit que du maintien de l’oppression sociale et de l’ordre capitaliste, soutenu par les béquilles des religions.

Ce qu’a fait Manuel Valls est liberticide au premier chef. Il a fait interdire, en amont, un spectacle avant qu’il ne se tienne. C’est le péché d’intention que même l’Eglise catholique refuse, et pour cause. Cela conduirait des millions et des millions de personnes au bûcher. Avant même que le propos soit énoncé, avant même que l’acte soit fait, il est interdit. C’est le principe de l’autodafé érigé en loi « républicaine ».

Par ailleurs, c’est un doigt dans l’engrenage de la mise en place d’un délit de blasphème « à la française » qui n’ose pas dire son nom. Pour toutes ces raisons, la Fédération nationale de la Libre Pensée ne peut que condamner les agissements liberticides du Ministre de l’Intérieur.

Pour autant, faut-il « absoudre » Dieudonné de ses propos nauséabons au nom de la liberté d’expression ? Ces propos sont à vomir. En faisant venir Robert Faurisson sur sa scène, tout était dit. J’ai combattu personnellement ce naziphile. Je connais ses thèses. Elles visent à nier le génocide de millions de juifs. Si on nie le génocide de millions de juifs, alors le nazisme est un totalitarisme comme un autre. La spécificité du nazisme, et sa réprobation universelle, c’est bien le génocide des juifs pendant la Deuxième guerre mondiale.

Nier le génocide, c’est banaliser le nazisme ! Et cela n’est pas acceptable pour la Libre Pensée. C’est l’antinomie de son ADN.

C’est aussi pourquoi la Fédération nationale de la Libre Pensée ne s’est nullement sentie investie d’une mission « divine » pour s’exprimer derechef. Pour une fois, nous étions d’accord : « Il fallait laisser du temps au temps ». Et tout cela s’est effondré comme une pauvre baudruche. Le sort en était jeté. Que les « investis de mission » ne se trompent pas, il y aura d’autres « coups médiatiques » aussi vite sortis qu’oubliés, nourrissant les deux bouts du totalitarisme.

Mariage pour tous, PMA, GPA et IVG

La Libre Pensée est profondément pour l’Egalité des droits pour tous. C’est ce qui a motivé notre prise de position résolue de soutien au mariage pour tous. Quel légitimité aurait, en effet, la Libre Pensée pour dire « un couple, c’est comme ceci, une famille, c’est comme cela » ? Pour la Libre Pensée, l’amour est universel, il n’a pas à être quantifié, catégorisé, uniformisé. Si des êtres s’aiment, ils doivent pouvoir s’unir et vivre ensemble sous la forme qu’ils désirent.

Les libres penseurs seraient plutôt pour l’union libre plus que pour le mariage qui est un contrat civil, voire commercial (Code Napoléon). Mais si nous sommes pour la liberté absolue de conscience, nous devons admettre que d’autres peuvent avoir d’autres désirs. Si la possibilité du mariage existe donc, elle doit être ouverte à tous. Sinon, il n’y a pas d’égalité en droit.

En conséquence, à partir du moment où il y a union, il doit y avoir possibilité de filiation (les enfants). Encore que, ce n’est pas le seul schéma possible, les célibataires doivent avoir aussi la possibilité d’avoir des enfants, au nom même du principe d’égalité.

Les couples de femmes doivent pouvoir avoir des enfants, beaucoup l’admettent aujourd’hui par le recours à la PMA. Dès lors, pourquoi refuser le même droit aux couples d’hommes par la GPA ? Cela serait une rupture de l’Egalité en droit. Les cris offusqués sur le commerce des ventres ne sont dignes en réalité que du café du commerce. On peut parfaitement faire une législation qui interdit toute marchandisation des corps.

On me rétorquera inévitablement, oui, mais cela se fera à l’étranger où c’est abominable. L’argument tombe de lui-même : d’ores et déjà des couples résidant en France ont recours à la gestation pour autrui dans les pays qui l’autorisent, parfois à titre onéreux. Les enfants qui naissent pourtant légalement ne sont pas reconnus à l’état-civil français.

La gestation pour autrui soulève au fond les mêmes questions, clairement résolues, que les dons d’organes qui sont anonymes et gratuits en France. Faut-il donc interdire l’avancée de la GPA en France parce qu’ailleurs, c’est la barbarie ? Faut-il se priver de nouveaux droits sociaux en France, au motif qu’ils n’existent pas ailleurs ? Le progrès n’avance jamais d’un même front, mais passe toujours pas des interstices. Les syndicalistes authentiques ne devraient pas être les seuls à comprendre cela.

Le mariage pour tous, sans la PMA et la GPA n’est qu’une demi-mesure. Il ouvre une possibilité, il ne règle pas les problèmes. Il est indispensable d’aller jusqu’au bout du raisonnement pour aller jusqu’au bout de l’Egalité en droit pour toutes les citoyennes et tous les citoyens. On voit clairement que ce n’est pas le chemin choisi par François Hollande après les pantomimes sur la loi sur la Famille.

Il est indéniable que le droit à l’IVG subit une offensive dure de la part du Vatican et des religions monothéistes dans le monde. C’est ce qu’a exprimé la déclaration commune de la Libre Pensée de France, d’Europa Laïca et de l’Union des Athées et des Libres Penseurs d’Espagne. Nous avions analysé, lors de notre Congrès national de 2012 que l’Eglise catholique était redescendue dans l’arène politique. Cette offensive le démontre clairement.

Pour autant, nous sommes en droit de nous interroger. Alors qu’une formule de la loi Veil était profondément tombée en désuétude (sur l’état de détresse) et qu’elle n’était jamais appliquée, pourquoi la majorité gouvernementale (qui connaît la situation de l’opinion publique) a cru devoir agiter un chiffon rouge pour modifier la formule ? Cela a permis à la réaction et au tréfonds de la réaction cléricale de se mobiliser et de faire du buzz.

Quant au fond, il est juste de constater que dans toute l’Europe le droit à l’IVG est profondément menacé par la sainte-alliance des clergés et de la réaction et qu’il faut combattre ce retour à l’obscurantisme. A qui va-t-on faire croire que c’est le cas en France ? Le vrai danger en France ne réside-t-il pas dans la politique continue des gouvernements successifs de droite et de gauche qui mènent des politiques d’austérité contre la Sécurité Sociale qui conduisent à la fermeture d’un nombre croissant de centres médicaux qui pratiquent l’IVG ? Et qui conduisent à la diminution réelle de ce droit ?

Dès lors, dénoncer le gouvernement en Espagne n’est-ce pas absoudre le gouvernement français de ses responsabilités ? Que l’on ne compte pas sur la Fédération nationale de la Libre Pensée pour participer à cette mascarade. Défendre le droit à l’IVG, oui, totalement, mais pas avec le bandeau sur les yeux.
Des mascarades, les vociférations sur la «  théorie du genre » contre l’Ecole Républicaine est un pas de plus dans la volonté de destruction de celle-ci. C’est le chiffon rouge complotiste sans cesse agité. Il n’y pas de théorie du genre. Là aussi qui peut croire les inepties en la matière, qui peut penser que l’école va déterminer le « choix de son sexe ». Le genre, cela n’existe que dans la tête de certains. La récente sortie de Copé sur le livre « Tous à poil » est une manipulation supplémentaire à la veille des élections, ils n’ont même plus de programme, si ce n’est la calomnie, la bêtise et la barbarie.

Comprendre le monde réel

Depuis la prise de position de l’archevêque de Paris sur la prière du 15 août 2012, l’Eglise catholique est rentrée dans la mêlée. Nous avons analysé que c’était une des conséquences de la lutte entre les États-Unis et le Vatican. Il ne saurait y avoir deux crocodiles dans le même marigot. Ces deux impérialismes ont des intérêts communs, pas toujours convergents, parfois contradictoires, d’où leurs luttes.

Depuis, le pavé parisien résonne des bruits de bottes à clous. Des manifestations ont lieu permettant à toute la racaille réactionnaire et cléricale de défiler au pas de l’oie. Nostalgie quand tu nous tiens… La Libre Pensée ne rentrera pas dans le débat sur le décompte du nombre des manifestants. Il y a du monde et c’est vrai. Mais est-ce le vrai problème ? La réaction cléricale se mobilise et alors ?
Que pèse-t-elle vraiment ? Si c’est à l’aune des capitulations de François Hollande (Pacte économique avec les patrons, refus de la réhabilitation collective des Fusillés pour l’exemple, opérations extérieures en Afrique, etc… ), oui, sans doute.

Mais on nous permettra de reprendre la formule de Charles Maurras sur la différence entre le pays légal et le pays réel. C’est de circonstance.
Les manifestations « pour tous », les « jours de la colère », les «  dégage Hollande », les « retraits de la colère », c’est une image du passé, c’est le refus de la modernité. Ce n’est pas le pays réel.

Il y a toujours eu deux France, et c’est bien. Cela s’appelle la lutte des classes et j’en suis partisan. Je n’ai jamais été un partisan de l’union nationale, de l’union sacrée. Je suis pour le choc, la confrontation. Du chaos naît l’ordre.

La racaille qui défile, c’est un vieux monde qui ne veut pas mourir et qui va mourir pourtant. C’est la France d’Ancien-Régime qui se fait une frayeur. C’est le résidu des royalistes, bonapartistes, cléricaux, réactionnaires, antidreyfusards qui se rassemble dans un ultime sursaut. On est littéralement épouvanté, et parfois mort de rire, quand on entend les imbécilités qui se professent. C’est le ban et l’arrière ban de la bêtise humaine qui défile. Capituler devant ces ci-devant n’est vraiment pas glorieux.

Ils crient, ils protestent, ils déclament, et pourtant ils sont morts, finis, Kaput …

Pour faire bonne mesure, on ajoutera quelques actions antisémites et antimaçonniques pour faire parler de soi. Cela fait partie du « package » normal. Le gouvernement n’a plus que cela pour essayer de se vendre. Il veut nous rejouer le 6 février, le 9 février et le 12 février 1934 à profusion.

Alors bien évidement, les laudateurs, les thuriféraires, les concussionnaires, les prévaricateurs, les subsidiaires du régime vont nous crier à la montée des Ligues, au fascisme, à l’hitlérisme. Ils n’ont plus que cela pour se justifier. Mais on a déjà vu le film et on a quitté la salle depuis longtemps.

Oui mais…

On n’est pas en 1934. La situation politique n’est pas la même. Si, sur le plan politique, il n’y a guère d’issue, au sein même de la classe ouvrière, la véritable résistance s’organise, notamment sur le plan syndical. Un front de la colère se constitue. Ce gouvernement n’arrivera pas à faire ce que n‘a pu faire le précèdent.
Le vrai danger, ce ne sont pas les ersatz du « fascisme », c’est le totalitarisme bien réel de la Troïka, de la Banque Mondiale, du FMI, de l’Union européenne, de l’Europe vaticane. Les fascistes s‘agitent, la Troïka agit. C’est toute la différence et c’est tout le problème sur lequel il faut agir.

Comment ne pas constater aussi que la plupart des acteurs de la « gauche », de la droite, du centre, et même des extrêmes ont été nourris au biberon de la doctrine sociale de l’Eglise catholique. L’Eglise qui a ses hommes et ses femmes dans tous les camps. Et malgré tout, ils n’arrivent pas à faire tourner la roue de l’Histoire à l’envers.

Les lois de l’Histoire sont plus fortes que les appareils. Et oui, Charles, tu avais raison, pour une fois : pays légal, pays réel.