
par Michel Godicheau
Les attaques contre le Code du travail pleuvent de toutes parts : de Gattaz en Kessler, on hurle partout aux excès de réglementation qui entraveraient l’économie. En réalité, le Code du Travail régit les relations individuelles et collectives de travail et n’est guère plus épais que le Code de Commerce qui ne régit pourtant que les relations entre commerçants. Les gens du Medef ne doivent pas feuilleter souvent ce Code car, ils y comptent jusqu’à 7 500 pages (Peyrevelade), alors que mon édition n’en comporte guère plus de 3 600. Le Monde diplomatique de novembre 2014, qui relève les affabulations des « entrepreneurs », observe d’ailleurs qu’un bon nombre des ajouts de ces dernières années relèvent d’initiatives patronales qui exigeaient des dispositifs complexes de flexibilité.
Le Droit du travail et la jurisprudence y afférant reposent sur une conception du Droit que l’on peut ainsi résumer : il existe un déséquilibre économique entre la situation du salarié, qui ne peut vendre que sa force de travail, et celle de l’employeur qui possède les moyens de production et d’échange. Le Contrat de travail est né de la différenciation, sous la pression de la lutte des classes, du contrat de « louage de service », où le salarié se louait corps et âme et dont le meilleur exemple était le domestique ou l’ouvrier agricole que l’on payait une fois l’an à la saint-Michel.
Petit à petit, ont été éliminés les règlements intérieurs qui obligeaient les salariés à assister à la messe ou à envoyer leurs enfants à l’école catholique. Aujourd’hui, la partie contractuelle des relations de travail repose théoriquement sur un rééquilibrage par le droit de la puissance économique de l’employeur, ce qui suppose que la partie réglementaire, qui relève de la seule initiative de l’employeur soit très encadrée. C’est pourquoi les sujets qui y sont traités sont limitativement énumérés.
La liberté de conscience et l’expression des opinions du salarié n’en font pas partie, ils sont protégés par l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 :
Le salarié n’engage pas sa personne au service de l’employeur, il conserve le droit à l’intégrité de sa vie privée, sa liberté de conscience et d’opinion (qui inclut le droit de manifester son opinion).
En principe, seule la puissance publique, pour des motifs d’Ordre public, peut apporter des restrictions en ce domaine à ses agents. C’est le cas du statut des fonctionnaires.
L’expression d’un pouvoir réglementaire (Règlement intérieur), inclut la définition de moyens de le faire respecter (sanctions) et il ne saurait être question de confier à un employeur des pouvoirs en ce domaine, à moins, précisément, de revenir au contrat de « louage de services » et de réduire les salariés à la domesticité. Ou encore à moins de donner aux employeurs des prérogatives de Puissance publique, ce qui fait partie de la définition du corporatisme et est exclu par l’Article 3 de la même Déclaration des Droits (« Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément ».)
Marc Blondel, syndicaliste et libre penseur : « Ne touchez pas au Code du travail ! »
Or, la « Charte » intégrée au fameux Règlement intérieur des entreprises du groupe Paprec, dont on a abusivement réduit la portée à l’interdiction du foulard islamique, explique en toutes lettres : « La laïcité en entreprise implique que les collaborateurs ont un devoir de neutralité : ils ne doivent pas manifester leurs convictions politiques ou religieuses dans l’exercice de leur travail. »
En vertu de son pouvoir réglementaire, l’employeur serait donc fondé à sanctionner un salarié qui exprimerait ses conceptions religieuses ou politiques à son travail et le juge prudhommal saisi ne pourrait qu’apprécier le caractère proportionné de la sanction. Nous entrerions alors dans un autre ordre juridique et politique, celui où l’employeur est juge de l’expression de vos opinions.
Avec la « Charte » du Groupe Paprec, le travailleur n’est plus un citoyen comme les autres. Il est privé de ses droits les plus élémentaires de citoyens. Rappelons ce qu’édicte l’Article 10 de la Déclaration des Droits de 1789 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi. »
Après l’interdiction de « manifester ses opinions politiques ou religieuses », cela sera-t-il le tour des opinions syndicales ? Et on ose nous présenter cette « Charte » (qui en rappelle une autre de sinistre mémoire) comme étant positive, voire progressiste ? Une fois que l’on aura modifié le Code du Travail qui protège le droit des salariés d’exprimer leurs opinions, la porte sera ouverte pour la remise en cause des droits syndicaux. Le Patronat ne demande que cela depuis des décennies.
Le PDG de Paprec est parfaitement conscient des problèmes de légalité que pose ce règlement intérieur, aussi utilise-t-il deux vecteurs : la médiatisation de son exploit et un lobbying pour le changement de la loi au cas où …C’est sans doute la raison pour laquelle un colloque est organisé à l’Assemblée nationale les 13 et 14 décembre 2014 sur le thème « Laïcité et Entreprise ». Mais s’agit-il vraiment de laïcité ?
Le 11 septembre 2013, Marc Blondel s’exprimait au nom de la Libre Pensée en ces termes devant le Conseil Economique et Social et Environnemental : « Nous sommes donc, vous l’avez compris, hostiles à la généralisation de ce genre de disposition. Il semblerait que ce dossier soit revenu d’actualité à la suite de l’affaire Baby Loup. Nous avons, pour notre part, indiqué que ce conflit du travail, car c’est avant tout un conflit du travail – a été utilisé pour des raisons d’opportunité politique. »
Sans papiers, intérim, et privatisation de l’Université : Où est la laïcité ?
En cette matière, celles des conflits du travail, Paprec a une certaine expérience, si l’on en croit la CGT qui, en 2009, soutenait des employés sans-papiers de Paprec bloquant une des entreprises du groupe, les promesses d’embauche qui auraient permis leur régularisation n’ayant pas été tenues : le groupe préférait employer des intérimaires. Et nous voilà revenus au Code du Travail que M. Petithuguenin et ses amis voudraient voir modifier.
En cette matière, celle des « raisons d’opportunité politique », Mme Pecresse (ministre de Sarkozy), auteur avec Eric Ciotti (UMP) d’une proposition de loi en ce sens et mère de la loi sur l’Enseignement supérieur qui porte son nom, a aussi une certaine expérience : « mobilisée pour Baby Loup » (Le Parisien) du 28 octobre 2014. C’est sans doute, au nom de la « laïcité », qu’elle était le 9 novembre 2014 au Mur des lamentations avec un député franco-israélien ultra, proche de Netanyahou.
Il est logique que tout ce petit monde se retrouve pour la défense de la crèche patronale Baby Loup dont la fonction était de permettre le travail de nuit des femmes dans les entreprises automobiles des Yvelines. Là aussi, quel progrès social !
Il n’est nullement question de laïcité, mais de manœuvres contre le Code du travail et d’opérations des exploiteurs et de leurs soutiens politiques destinées – comme le rappelait encore Marc Blondel, à « opposer les salariés entre eux à travers leurs engagements religieux. » Et, in fine, à imposer des solutions autoritaires pour que l’extorsion de la plus-value continue sans entrave.
Il est désormais clair que toutes ces opérations autour de la modification du Code du travail ne sont que tentatives totalitaires, liberticides, antisyndicales, antidémocratiques … donc antilaïques. Rappelons que l’objectif final de la laïcité est l’émancipation humaine. On est bien loin de cela dans ces affaires.