Sauvez, sauvez la France, au nom du Sacré-Cœur !

par Gérald Cusin

En période de crise, on ne sait pas toujours à quel saint se vouer, mais on cherche quelques solutions miracles qui pourraient nous sortir du pétrin. L’hebdomadaire le Point du 21 mai dernier nous apprend que les traders, ceux qui dans les banques sont chargés de gérer les risques d’investissement et de spéculer, n’hésitent pas à préparer leur marché autour d’une boule de cristal : « Depuis la chute de Lehman Brothers, en septembre 2008, le nombre de consultations à augmenté de 30 à 40 %, la majorité de nos nouveaux clients était constituée de financiers de la City » expliquait Jayne Wallace, fondatrice de la boutique « Psychic Sisters », les « Soeurs Voyantes », située à l’intérieur du célèbre magasin de luxe Selfridges. La boutique est composée de neuf voyantes, sexy en diable, et par ailleurs pour la plupart chroniqueuses à la télé ou dans les journaux. Elles comptent parmi leurs clients nombre d’hommes politiques.

Ce n’est pas nouveau. On sait que, depuis la plus haute Antiquité, et même certainement au-delà, ceux qui pensent avoir de particulières compétences pour diriger nos existences, préfèrent – on les comprend – regarder dans les entrailles des poulets, observer le passage des oiseaux, se faire tirer les cartes, interroger le marc de café, plutôt que de faire confiance à la kyrielle d’experts patentés qui sont toujours à leur disposition. Il n’y a que Giscard d’Estaing qui pensait résoudre les problèmes économiques en mettant à la tête du gouvernement le « premier économiste de France ». Les autres préfèrent aller discrètement faire un tour sur les boulevards, en portant des lunettes noires et un pardessus couleur de murailles, pour aller interroger Madame Irma. Si cela ne réussit pas mieux, cela ne réussit pas plus mal.

Quand ils ne les font pas carrément venir à l’Elysée, comme feu-Mitterrand, qui ne manquait pas de consulter régulièrement l’universitaire Elisabeth Tessier. Ne lui tirait-elle que les cartes ? C’est une autre histoire. On sait qu’en matière de magie et de prestidigitation, Tonton jouait plutôt le rôle du (chaud) lapin sortant du chapeau.

C’est vous dire si nous avons bien raison de confier régulièrement nos destinées à ces hommes. Ils savent s’entourer des conseils les plus sûrs et les plus fiables pour nous apporter le meilleur possible. On ne saurait leur reprocher.

Il n’y a pas d’ailleurs, en la matière, que les hommes politiques et les investisseurs financiers qui s’en remettent à la transcendance.

La petite Jehanne de France

Ainsi, le préfet de l’Ariège, Monsieur Valette. Dans une lettre circulaire aux maires de son département concernant les cérémonies commémoratives de l’armistice du 8 mai 1945, il recommande que « toutes les dispositions [soient] prises afin que les bâtiments et édifices publics soient pavoisés aux seules couleurs nationales ce jour là, ainsi que le samedi 9 mai 2009, journée de l’Europe et le dimanche 10 mai 2009, fête de Jeanne d’Arc » Le représentant du gouvernement intègre donc « la fête de Jeanne d’Arc » dans les jours fériés officiels de la République.

On ne saurait également l’en blâmer. Ne sommes-nous pas au bord du précipice ? Et en cette occasion périlleuse, n’est-il pas nécessaire de nous retourner, une nouvelle fois, vers cette figure emblématique du renouveau français ?

Il faut dire qu’on s’arrache la pucelle depuis près d’un siècle entre républicains et catholiques. C’est Michelet qui fit d’elle une « sainte laïque » : « Souvenons-nous, Français, que la patrie chez nous, est née du cœur d’une femme, de sa tendresse et de ses larmes, du sang qu’elle a donné pour nous » [1]. Il faut dire que toute l’époque cherche les moyens de se laver de la défaite de Sedan, et de raviver le sentiment national. Évidemment, l’Eglise qui n’avait pas encore bien intégrée le concept de République pour arriver à ses fins, ne l’entendait pas de cette oreille. Bien sûr, il lui fallait ramer contre le courant pour faire oublier qu’elle avait passé les allumettes pour allumer le bûcher. Le Père de Langogne, futur évêque de Corinthe, donne le ton : « Quel illogisme, ou plutôt quelle tartuferie dans toutes ces colères juives ou enjuivées contre le triste évêque de Beauvais ! Pierre Cauchon, ce honni de l’Eglise, mais c’est un homme à eux. » L’affaire Dreyfus n’est pas loin, et l’évêque étant juif ou enjuivé – c’est pareil – tout s’expliquait : l’Église n’était donc pas responsable. Drumont pouvait écrire en 1904 : « C’est une celte, Jeanne d’Arc, qui sauva la patrie. Vous connaissez mes idées […] et vous savez de quel nom nous appelons l’ennemi qui a remplacé chez nous l’Anglais envahisseur du XVe siècle .. Cet ennemi s’appelle pour nous le Juif et le franc-maçon. » La sainte est constituée le 16 mai 1920.

Réaction « républicaine » : au moment où Jeanne d’Arc est canonisée, le gouvernement Millerand – pour éviter que l’Eglise ne s’approprie ce symbole national – fait voter la fête de Jeanne d’Arc (deuxième dimanche de mai, date de la délivrance d’Orléans).

Le préfet de l’Ardèche manifesterait-il donc par son courrier son anticléricalisme primaire ?

Pour éviter de rallumer le feu, adressons-nous plutôt, afin de nous sauver des présents périls, à la mère de Dieu, sainte patronne de l’Union Européenne, dont le drapeau orne tous nos édifices publics et reprenons tous en cœur, ce cantique :

Venez chrétiens, de l’auguste Marie ;
A deux genoux implorer les faveurs (…)
Oui, vous viendrez, vous sauverez la France,
Et de Jésus, nous aurons le pardon

Amen

Notes

[1] Histoire de France Livre V