
par Philippe Forget
A grand renfort de spectacle et aux frais de la République, le pape a été reçu par l’Exécutif français, en septembre dernier, comme un chef d’Etat des plus éminents, alors qu’il est seulement le pontife d’une grosse secte religieuse dont les crédulités relèvent de la sphère privée et ne sauraient ordonner les normes de la vie publique dans une nation souveraine. L’homme est néanmoins habile ; et de prime abord, il entend bien distinguer le domaine de la foi du domaine politique, aucun ne devant empiéter sur l’autre. De même, il prétend promouvoir l’acquisition des connaissances, la formation d’hommes cultivés et la riche diversité des nations. C’est ainsi que l’Eglise se présente comme un acteur social et culturel de la vie démocratique, à laquelle elle apporterait un patrimoine d’histoire et de sagesse.
Le spectacle du pape, stratagème de minoration du peuple
En ces temps où l’on dénonce la précarité du lien social, où l’on confond humanisme et « victimisme », où les uns vitupèrent le règne de l’argent et de la consommation, les autres l’individualisme et l’irresponsabilité collective, enfin où politiques, journalistes, idéologues stipendiés et experts mandatés, se gobergent de « valeurs » à retrouver ou à défendre, l’intervention de l’Eglise dans le débat démocratique est acclamée par beaucoup, et au premier chef par les élites autoproclamées qui tiennent le pays. Celles-ci sont en effet ravies de masquer le coût social et politique de leur domination derrière les postures de « belle âme » que prodigue le monarque du Vatican.
Il s’agit donc de réfléchir à quoi sert l’exhibition récurrente du pape sur la scène médiatique, elle-même surdéterminée par la logique du capitalisme financier et les stratagèmes de la ploutocratie globalitaire. Quels gains politiques et idéologiques celle-ci escompte-t-elle retirer de la visite spectaculaire du pape ? Le premier objectif consiste à flatter l’électorat catholique ; mais le plus profond est en vérité de convaincre la conscience populaire qu’elle ne détient pas, par l’exercice de sa raison propre, les critères de son jugement moral et politique sur sa vie collective. L’oligarchie française et européenne s’accorde avec la papauté pour entreprendre la minoration politique du peuple. Au prétexte de « laïcité positive », les pouvoirs conspirent à restaurer l’autorité religieuse et à lui subordonner la conscience civique.
Ils prétendent enrichir le débat public sur des questions d’intérêt général par l’apport culturel que constituerait la parole des religions monothéistes, et notamment la catholique. C’est oublier un peu vite que l’Eglise n’est en rien une institution délibérative, mais une structure de commandement et d’obéissance. Elle ne doute ni de ses dogmes, ni de ses rites, ni de sa théologie, ni de son pastorat universel, ni de sa hiérarchie apostolique. Comme elle n’est pas constituée pour dialoguer, faire de l’Eglise le pôle d’un dialogue est un leurre. Fidèle à la théorie du cardinal Dupanloup, le pouvoir clérical fait mine de débattre : en fait, (Thèse) il essaie d’envahir la scène médiatique de ses « valeurs », de ses bons sentiments et de ses préceptes, en attendant que les circonstances lui permettent de transformer tous ses propos onctueux et « spirituels » en ordonnancement strict de la vie populaire (Hypothèse). Pendant qu’il ourdit son entreprise, il doit observer avec délice combien l’électoralisme, le sociologisme, l’égalitarisme et le « victimisme » ont ruiné la tradition historique, la discipline intellectuelle et la cohérence politique du parti du mouvement et du progrès…
Survivance sociale, l’Eglise n’en reste pas moins une ruine historique et herméneutique. Bouleversée par les Temps modernes, elle n’a ni les mots ni la grammaire pour éclairer la modernité et ses enjeux. Provoquer son retour au cœur de la Cité relève d’une politique régressive qui ne veut pas affronter les défis de l’heure, et encore moins mobiliser l’esprit public. L’oligarchie se cherche des béquilles pour maintenir sa domination, elle tambourine autour d’un vieux sortilège pour favoriser l’apathie générale. Etrangère à toute idée de transformation historique, la parole papale voile d’assertions illusoires un monde qu’elle ne comprend pas mais qu’elle veut néanmoins reconquérir. Ce faisant, elle égare la conscience populaire vers des problèmes qui n’en sont pas et des solutions qui n’en sont pas. Elle contribue par là même à affaiblir l’effort cognitif du peuple quand il cherche à comprendre sa situation historique et à la surmonter. Au total, l’intervention sentencieuse de la papauté sur le sens et les idéaux de la République contribue à en ruiner l’unité politique et la cohérence éthique. Tout ce dispositif médiatico-clérical invite insidieusement le citoyen à se démettre de ses propres possibilités créatrices et à s’en remettre à un pastorat Pourtant, on voit mal comment la République éclairée pourrait partager son espace public avec un appareil se pensant comme l’autorité tutélaire du genre humain, sauf si elle consent à renier sa souveraineté, son indivisibilité et sa laïcité.
L’Europe ou la nouvelle ambition théocratique du Vatican
Sur cette dernière condition, le pape a au moins le mérite de la franchise. Il a ainsi affirmé : « Il est en effet fondamental d’insister sur la distinction entre le politique et le religieux… et d’autre part, de prendre une conscience plus claire de la fonction irremplaçable de la religion pour la formation des consciences et de la contribution qu’elle peut apporter, avec d’autres instances, à la création d’un consensus éthique fondamental dans la société. » [1] Autrement dit, le politique est autorisé à agir librement dans sa sphère, mais à condition que la conscience populaire soit en amont formée par la religion. L’éthique civile du citoyen ne saurait procéder de sa raison instruite et partagée, mais de la seule conscience éduquée par les prêtres. Les citoyens sont en droit de décider politiquement : certes, s’ils sont de bons croyants que leurs pasteurs auront formés à penser et agir politiquement selon les critères, les normes, les lois et les finalités de L’Eglise ! Celle-ci peut bien consentir à la séparation formelle du politique et du religieux puisque l’action du premier sera conditionnée par les prescriptions transcendantes du second.
D’ailleurs, dans l’esprit du pontife, toute l’activité spéculative des hommes s’ordonne nécessairement à la recherche de Dieu. Il n’hésite pas à affirmer que la civilisation européenne provient de l’Eglise : « Ce qui a fondé la culture de l’Europe, la recherche de Dieu et la disponibilité à L’écouter, demeure aujourd’hui encore le fondement de toute culture véritable. » [2] Partant, il n’est pas étonnant qu’il ose juger ensuite que « les sciences profanes » devinrent importantes dans l’Europe chrétienne « en raison même de la recherche de Dieu ». Enfin, pour le pape, une culture qui ne serait pas orientée vers Dieu, « une culture positiviste,…serait la capitulation de la raison » [3]. Celle-ci est alors appelée à faire preuve d’humilité pour accueillir le Verbe divin. Tous ces propos du prélat signifient une chose très simple : en dehors de la vérité religieuse, la vie de l’esprit n’a pas de valeur, et les œuvres de la raison doivent être subordonnées à la parole divine (que détient évidemment la Sainte Eglise). Et cette hallucinante présomption a été applaudie par un parterre d’intellectuels ! Ceux-ci ignorent sans doute que le monarque mitré tient là un discours dans la droite ligne de la théocratie médiévale. La doctrine politico-théologique n’a pas changé : savoirs et arts doivent servir la vérité théologique et ne pas en transgresser dogmes et canons. Ratzinger n’oublie pas les fondements intellectuels de l’Inquisition, selon lesquels les gardiens de la Foi ont le devoir de juger et juguler les travaux de l’esprit. Dans cette logique, la philosophie et les sciences jouissent d’un unique statut ancillaire auprès de la théologie. La raison doit être à nouveau la domestique (ancilla) de la théologie : tel est le fond du discours papal, dont personne dans l’auditoire ne s’est risqué à clamer combien il s’agissait d’une insulte à la République.
Bien que l’apathie des caractères et la crasse de l’intellect qualifient les mondanités, une question bien plus soupçonneuse doit néanmoins être soulevée : technocrates, médiacrates et intellocrates, toute cette classe parasitaire qui perd quotidiennement sa légitimité, et dont la domination conduit le pays à la faillite, n’est-elle pas prête à se réfugier au pied de l’autel pour se blanchir et conserver ses prébendes ? Le meilleur expédient pour momifier l’Europe des oligarchies n’est-il pas d’étouffer la pensée critique et productive sous la tutelle du goupillon ? La crainte d’un bouleversement historique pousse ainsi les élites auto-proclamées à ériger de poussiéreux totems afin de méduser le peuple. La Banque, le Ministère, l’Ecran et la Coupole valent bien d’aller à confesse… Il importe, à cette occasion, de souligner que la dénonciation « spiritualiste » de l’argent entreprend de voiler les mécanismes réels du capitalisme, ainsi que les responsabilités politiques de ses instigateurs. La moraline réactionnaire reste toujours le faux-nez de l’exploitation usurière.
Les faussetés intellectuelles du pape. La racine athée de l’Europe
Cette connivence entre la papauté et l’oligarchie a fait que les propos du premier sur la culture européenne ont été qualifiés de « haute teneure intellectuelle ». Pourtant, sur ce sujet, Ratzinger s’est livré à un coup de force théorique, en prétendant que « la recherche de Dieu » était à la source de notre civilisation. Celle-ci n’a pas attendu le christianisme pour affirmer son originalité et prendre son essor. Athènes et Rome, le questionnement grec et le bâtir romain, la raison intellectuelle et la raison ingénieuse, engendrèrent le déploiement européen, sur lequel se greffèrent ensuite des apports extérieurs qui ne peuvent cependant prétendre au titre de racines de l’Europe. S’est donc passé tout l’inverse de ce qu’affirme le pape : L’Europe a fleuri sur la liberté de la pensée et de la main, et non pas sur une quelconque quête d’une transcendance divine.
En effet, tandis qu’ils s’étonnaient devant la présence du Monde et ses phénomènes incessants, les philosophes-physiciens de la Grèce antique cherchaient à comprendre les choses en tant que telles, comment elles procédaient, se constituaient et s’agençaient, de quoi elles étaient issues. Et ce « de quoi » ne signifiait aucunement un « de qui ». La recherche de principes fondateurs n’équivaut en rien à celle d’un dieu créateur. L’amour de la vie, le goût pour le Monde, la curiosité pour les phénomènes, le soin porté aux affaires humaines et civiles, la soif de bâtir, suffirent à engendrer le génie européen, sans que Grecs et Romains eussent besoin d’un dieu unique et de sa vérité unilatérale pour entreprendre de connaître et travailler la nature. On ne saurait d’ailleurs confondre les divinités poétiques de l’Antiquité avec le dieu théocratique des monothéismes. Apollon invite à se connaître, la figure d’Hercule à civiliser la terre sauvage. Ni l’un ni l’autre ne prétendent proférer une vérité éternelle à l’encontre du monde et des hommes. Ils expriment la situation humaine aux prises avec les vicissitudes de la vie et les terreurs de la nature (physis) ; et leur remède est simple : les Travaux du corps et de l’esprit. Les antiques Européens ne se confièrent pas à un dieu sauveur ; à l’écoute de leurs poètes, ils s’appuyèrent sur les puissances concrètes de leur existence. Aussi le miracle grec consista-t-il justement dans cet intérêt pour la physis, développé par la seule raison en dehors de toute révélation, de toute écriture sainte. Le philosophe s’interrogeait sur l’être des choses à partir du Livre des phénomènes, nullement depuis un texte révélé.
Germant depuis l’expérience des choses, la philosophie, et la science qui s’ensuit, était et ne peut qu’être principiellement athée. Il convient de l’affirmer avec force : les racines de la civilisation européenne résident dans un athéisme radical de la pensée. Dans cette perspective, la notion de Dieu est une simple hypothèse, parmi d’autres, sur les raisons du monde. En outre, le règne momentané de cette image sur les consciences a lui-même été soumis au soupçon de la pensée : Feuerbach, Marx et Nietzsche ont suffisamment décrypté son agonie pour que l’on sache qu’elle est désormais utile à la seule stagnation des rapports de domination, et non à leur dépassement. Depuis le développement des Temps modernes, Dieu ne « fait plus monde » ; mais le pouvoir essaie de le remettre régulièrement en selle aux fins du pire conservatisme politique et social. L’Europe monothéiste s’érige comme le sépulcre blanchi du Capital.
Dès lors, la lutte sournoise que mène le pouvoir imposteur contre la laïcité révèle sa logique morbide. Puisqu’il prospère sur la nécrose du corps social, il favorise tout ce qui en obscurcit l’esprit. Une masse aveugle et docile est plus facile à saigner qu’un peuple éclairé et indépendant. Or quel est le but de la laïcité, sinon d’affirmer la souveraineté spirituelle [4] du peuple. L’interprétation actuelle veut que la laïcité fonde la séparation de l’Eglise et de l’Etat dans un souci de paix civile et d’indépendance constitutionnelle de la puissance publique. La laïcité est alors fixée à un formalisme juridique, sans que l’on cherche dorénavant à en cultiver l’esprit et la dynamique. En la bornant à un dispositif de droit positif, on cesse de la relier aux droits de l’homme et du citoyen, et donc aux idéaux de la République : la liberté, l’égalité et la fraternité. Face à la propagande oligarcho-catholique, l’urgence du combat intellectuel oblige d’insuffler à la laïcité une nouvelle force libératrice.
L’espace laïque, foyer de la libre connaissance
Ainsi il nous incombe de rappeler aux tenants de la laïcité « ouverte » ou « positive » que le propre d’une religion théologique est de guider des fidèles, de diriger leur conscience et non pas de les former à exercer leur liberté de jugement et à être ensuite capables de délibération publique. La conduite de la raison, la formation du goût et la curiosité pour les savoirs n’ont nul besoin de l’appareil clérical pour exister, dans une République fidèle à ses principes. L’Ecole au premier chef, mais aussi l’Université et la Bibliothèque constituent les instances appropriées pour assurer l’instruction publique et l’auto-formation des citoyens. En outre, dans une démocratie achevée, la Communauté des producteurs est tenue de penser sa pratique et ses travaux. Elle forme une Communauté réfléchie, formée à débattre de son expérience pour mieux décider de son activité. Quand un peuple fait effort pour construire sa liberté, aucune raison ne saurait le pousser à faire appel à la médiation d’une organisation privée pour définir qui il est, quelle est sa tâche et comment l’accomplir. D’autant plus quand cette organisation, il l’a dépassée historiquement et renversée politiquement
En effet, l’espace public de la République s’est formé du moment où le peuple s’est affranchi de toute tutelle religieuse. Conquérant sa liberté de conscience et d’expression, le citoyen a dès lors entrepris de bâtir la cité démocratique comme un foyer de connaissance collective, motivée par le progrès moral et matériel de tous. A travers ses penseurs, créateurs et inventeurs, le peuple forge ses propres mots, ses propres langues, ses propres méthodes de communication et de transmission, pour comprendre le monde et le transformer. Aucune faction, aucune secte, n’est en droit de guider son instruction, de former sa moralité et d’orienter le chemin de ses savoirs. S’il y consentait, il perdrait tôt ou tard la connaissance de soi et du monde. La progression cognitive du citoyen constitue un processus illimité qu’il ne saurait confier à une instance hétéronome, sous peine que celle-ci ne lui interdise d’exercer pleinement ses facultés spirituelles et productives. En effet, la souveraineté du peuple est non seulement politique, mais aussi morale et spirituelle. L’esprit démocratique est souverain dans les orientations, décisions et expressions de son activité théorique et pratique. Majeur, il n’a nul besoin d’un tuteur, de plus aliéné à des Ecritures bien plus restreintes que les Livres du Monde et de l’Histoire. S’abreuvant à l’étude de ces derniers, la libre pensée du peuple sera toujours plus universelle et profonde que celle de toute religion.
La laïcité apparaît maintenant dans toute sa force historique : elle garantit au peuple souverain l’indépendance de son savoir, de sa transmission, de sa progression et de son application. En République, le savoir, qu’il s’applique aux choses, aux mœurs ou à la cité, procède de la Raison formée et formatrice. Comme un tel savoir dépasse le préjugé sectaire, seul l’argument de raison fonde l’unité et la cohérence de l’esprit public. Vienne à s’y substituer l’argument d’autorité et c’en est fini de la libre unité des citoyens. Alors, soit ils se déchirent autour d’autorités concurrentes, soit ils s’assujettissent à une loi qui n’est pas la leur. Existe donc un lien nécessaire entre la souveraineté du peuple, la liberté du citoyen et l’autorité de la raison. Ce lien, la laïcité le constitue et l’exerce. Elle signifie que l’autorité de la raison ne peut coexister dans la res publica avec le préjugé de l’autorité. Aucune autorité ne saurait en effet prédéterminer la conscience des citoyens. L’autorité, ce sont eux qui l’autorisent, la légifèrent et l’instituent selon la reconnaissance publique des talents. L’autorité de l’enseignant lui est conférée parce que la rationalité de son savoir et son talent de le transmettre ont été mis à l’épreuve d’un examen rationnel. En revanche, l’autorité à laquelle prétend le prélat échappe par principe à tout examen de la raison puisqu’elle se fonde sur l’obéissance du troupeau acquise dans la foi et par la foi. Malgré les circonvolutions de la pseudo-rationalité théologique, le socle le plus profond du discours religieux reste cette formule de Tertullien : Credo quia absurdum (« Je crois parce que c’est absurde »). Nous sommes là aux antipodes de la pensée des Modernes, laquelle sait recueillir la prescription de la parole delphique, « Connais-toi toi-même ! » ; comme elle entend aussi renouer avec l’initiale parole de curiosité philosophique, lancée par Héraclite : « La Nature aime à se cacher ».
La laïcité, condition de l’effort démocratique
Héritière de la plus longue mémoire, la laïcité ouvre l’intelligence humaine à la pleine et entière exploration du Monde. Le génie de la laïcité française réside dans cette confiance faite au peuple, libre auteur d’un univers qu’il étudie et transforme. Par la laïcité, les citoyens s’affranchissent de l’inégalité que véhicule le cléricalisme des révélations ; sur le chemin de la connaissance, tous partent égaux. La laïcité abrite également la paix civile quand elle bannit les adversités religieuses de l’espace républicain. Les citoyens découvrent alors la fraternité dans la pratique féconde de leur raison commune. Enfin, aucune instance particulière, aucune institution partisane, n’est en droit de dicter au peuple qui il est et comment il doit être. Le peuple se définit souverainement au fil de son expérience historique et sociale qu’il interprète au moyen de l’instruction dont il se dote, de la culture qui le forme et ainsi, par la délibération et les luttes éclairées qu’il conduit. La laïcité, c’est l’appropriation dynamique par les citoyens de leur identité historique, politique et morale. La République française n’est pas la fille aînée de l’Eglise, elle ne s’aliène pas à une filiation étrangère : laïque, elle s’affilie aux seules forces productives de sa propre pensée. Forte de la laïcité, la nation érige à jamais l’indépendance ouvrière de la parole démocratique. C’est pourquoi la laïcité ne se réduit pas au terme juridique d’un équilibre de forces entre appareil d’Etat et appareil religieux : elle doit être comprise et vécue comme le vecteur irrésistible du progrès de la pensée au sein du peuple. Quand la « laïcité positive » provoque la confusion des consciences, l’unique laïcité les appelle à l’expansion de l’intelligence individuelle et collective. L’humanité du peuple : telle est la mission sacrée de la laïcité.
L’humanité n’est pas une facilité, elle se travaille et se cultive. Si les pouvoirs cléricaux encouragent la paresse des esprits, les idéaux modernes exigent leur effort constant. L’exercice du jugement démocratique demande la discipline de la raison et la rectitude des caractères. A peine de sombrer dans la démagogie des émotions et la tyrannie des ténèbres.
Philippe Forget [5]
[1] Discours de Benoît XVI à l’Elysée, le 12 septembre 2008.
[2] Discours de Benoît XVI aux Bernardins, le 12 septembre 2008.
[3] Ibidem
[4] Cet adjectif désigne l’activité réflexive et créatrice de l’esprit humain. Il n’y a aucune raison de l’abandonner aux prêcheurs de « spiritualité ». Il y a bien plus d’activité spirituelle chez ceux qui explorent et transforment la matière que chez ceux qui prennent la pose « spirituelle »
[5] philosophe, fondateur et responsable de la revue philosophique L’Art du Comprendre