Mariage annulé : du sang sur le balcon ?

par Gérald Cusin

« Assurons-nous bien du fait, avant que de nous inquiéter de la cause. Il est vrai que cette méthode est plus lente pour la plupart des gens qui courent naturellement à la cause, et passent par-dessus la vérité du fait ; mais enfin nous éviterons le ridicule d’avoir trouvé la cause de ce qui n’est point. (…) (Fontenelle, Première Dissertation, IV. La dent d’or)

Or donc, on a offert à la vindicte publique, on a nourri l’indignation médiatique, on a fait donner de la voix dans la gentry boboïsée de la « laïcité » anti-musulmane chère à aux défenseurs de l’axe du bien. N’est-il pas question selon l’association « Ni putes ni soumises » que ce jugement interdise désormais aux filles non vierges de se marier ?
On a assisté, comme pour l’ouverture de la chasse aux faisans, au lâcher de fantasmes : Imaginez donc : Un très probable sale type plus que manifestement obscurantisto-basané, tout à fait certainement benladenisé jusqu’au sommet de sa gandoura – aurait répudié [1] , au soir de sa nuit de noce, sa malheureuse épouse parce qu’elle n’était pas vierge … Qui pis est, il aurait obtenu gain de cause de la part d’un tribunal de la République : la justice républicaine aurait donc adjoint la charia au code Napoléon ?

Diable, reviendrions-nous au Moyen-Âge ? Avec la jurisprudence, on va peut-être revoir de nouveau les draps de lit ensanglantés, pendus aux paraboles sur les balcons des HLM ?…

Et chacun d’y aller de sa déclaration : la République doit rester la République, et la Laïcité, qu’est-ce que vous en faites ?… etc. L’islam nous impose sa loi sur la virginité, alors que cette préoccupation n’est pas dans nos traditions et qu’elle n’a jamais effleuré le monde chrétien, évidemment… Même le bon docteur (de la loi) Boubakeur y est allé de sa condamnation télévisuelle, en marmonnant d’une manière à peine audible que répudier, ce n’était pas bien [2] : c’est vous dire si il s’agit là d’un consensus officiel.

Assurons-nous bien du fait, avant que de nous inquiéter de la cause.

Bien. Un avocat, dont on ne saurait trop recommander la visite du site (http://www.maitre-eolas.fr/2008/05/), a commencé par se procurer l’attendu du jugement. Il semble bien que personne n’y avait songé avant.

« (…) Attendu qu’au terme de l’alinéa 2 de l’article 180 du code civil, s’il y a eu erreur dans la personne, ou sur des qualités essentielles de la personne, l’autre époux peut demander la nullité du mariage (…) Attendu qu’en l’occurrence, [la défenderesse, l’épouse] acquiescant à la demande de nullité fondée sur le motif relatif à sa virginité, il s’en déduit que cette qualité avait bien été perçue par elle comme une qualité essentielle déterminante du consentement du [requérant, l’époux] au mariage projeté ; que dans ces conditions il convient de faire droit à la demande de nullité du mariage pour erreur sur les qualités essentielles du conjoint »

Bon, l’époux voulait absolument épouser une jeune fille vierge, allez savoir pourquoi. Cela – comme disaient les Inconnus – ne nous regarde pas… Sa virginité à lui posait-elle problème ou non ?, on n’en sait rien : ça peut se discuter sur le plan philosophique, on peut trouver cela parfaitement imbécile (et on n’aurait peut être pas tort), mais, en tous les cas, pas sur le plan de la laïcité [3] , ou sur le plan du droit.

La laïcité, comme le droit – et je sais que je vais en faire hurler, mais tant pis – ne se préoccupe pas de morale [4] . Vous allez me dire qu’il s’agit là d’une conception religieuse arriérée et rétrograde, qui fait fi des droits de l’Homme (et de la Femme en l’occurrence)… je vous répondrai qu’il en est ainsi de toutes les religions, et que c’est pour ça que nous sommes libres penseurs (entre autre). Si les curés ne demandent pas un certificat de virginité aux futurs époux alors que le(s) pape(s) ne cesse(nt) de rappeler « qu’acte de chair ne commettra qu’en mariage seulement », c’est sans doute par peur de voir complètement déserter leurs églises …

Par ailleurs chacun a le droit d’épouser qui il entend et de ne pas épouser qui il n’entend pas, tous les goûts sont dans la nature, et comme disait ma grand-mère, il n’est de marmite qui ne trouve son couvercle. Cela ne regarde personne.

Notre juriste commente ainsi le jugement : « L’exercice d’une contrainte sur les époux ou l’un d’eux(…), constitue un cas de nullité du mariage. S’il y a eu erreur dans la personne, ou sur des qualités essentielles de la personne, l’autre époux peut demander la nullité du mariage. Cet article protège le consentement des époux, qui doit être libre et sincère (…) »

Il ajoute : « Outre la violence faite aux époux, l’alinéa 2 prévoit que le consentement d’épouser la personne porte non seulement sur son identité mais sur qui elle est vraiment. Tout couple, a fortiori un couple qui se lie par le statut contraignant du mariage, repose sur la confiance en l’autre. Si cette confiance a été trahie avant même le mariage, la loi considère que le consentement au mariage peut en être atteint. » Le mariage existe, quoi qu’on puisse penser de cette institution. A partir de là ce que prévoit la loi, en l’espèce, n’a rien d’exorbitant. « Mais la loi se garde de définir ces qualités essentielles, et la jurisprudence de la cour de cassation laisse le juge décider si, selon lui, les qualités invoquées sont ou non essentielles. On appelle cela le pouvoir souverain du juge du fond (…) Seules exigences de la jurisprudence : l’erreur doit être objective et déterminante, c’est-à-dire reposer sur un fait et être telle que, sans cette erreur, l’époux[se] ne se serait pas marié[e].
On a donc une collection de décisions qui donnent des exemples ponctuels.

Ont ainsi été considérées comme qualités essentielles : l’existence d’une relation extraconjugale que l’époux n’avait nullement l’intention de rompre ; la qualité de divorcé (qui fait obstacle à la tenue d’un mariage religieux chrétien) ; la qualité d’ancien condamné ; la qualité de prostituée ; la nationalité ; l’aptitude à avoir des relations sexuelles normales (le jugement ne définit pas la relation sexuelle normale, pour la plus grande tristesse des étudiants en droit) ; la stérilité ; la maladie mentale ou le placement sous curatelle ». Encore une fois, il ne s’agit pas de morale, mais de loi : il faut que la qualité essentielle ait été volontairement cachée à l’autre, et que cette « qualité » [5], si elle avait été connue de l’autre, constitue dès lors un obstacle – par rapport à ses convictions, ses choix personnels et privés qui ne concernent que lui (pas la loi ou la laïcité républicaine) – pour donner son consentement. Il faut, de plus, si j’ai bien compris, qu’il soit objectivement et matériellement établi que celui qui a caché cette qualité à l’autre, le fasse en sachant pertinemment qu’il s’agissait pour son (sa) futur(e) d’un obstacle rédhibitoire.

Evidemment, me direz-vous, avoir été prostituée ou ancien taulard, est-ce que c’est une qualité essentielle, quelque chose qui dit vraiment qui vous êtes ? D’un autre côté, si une personne estime qu’il s’agit là d’un élément essentiel pour qu’elle puisse donner son consentement sans arrière pensée, je ne vois pas qui pourrait aller contre sur le plan des droits : la vie privée est… privée, … et les conceptions morales – même les plus rétrogrades – font partie de la vie privée. Quant à moi, je ne porte pas – encore une fois – de jugement sur cette affaire (je ne suis pas juriste et je n’ai pas d’opinion toute faite sur des événements dont j’ignore tout). Je me contente de dire : On a hurlé à l’islamisation des tribunaux, au recul des droits de la femme, que sais-je encore ? J’essaye de voir ce qu’il en est vraiment, je m’appuie sur des éléments factuels et non fantasmés, j’essaye de faire usage de mon libre examen.

D’autres faits sur l’existence de la dent d’or ?

Enfin, un fait très important est passé sous silence par la presse en général. L’épouse elle-même demande au tribunal de donner acte de son acquiescement à la demande de nullité, elle consent à la procédure. Par là, le juge estime qu’elle reconnaît qu’elle savait que sa virginité était un des éléments essentiels du choix de son fiancé et qu’elle l’a sciemment trompé sur ce sujet. Le juge – tout comme nous d’ailleurs – n’en fait pas une question morale, mais une question de droit : l’erreur est donc objective et déterminante, elle repose sur un fait : l’épouse savait que c’était une condition sine qua non pour son fiancé. Sans cette erreur, l’époux ne se serait pas marié.

Je ne résiste pas enfin à citer toute la conclusion de notre avocat bien inspiré [6] , car il pose parfaitement selon moi le problème : « Ce jugement ne dit absolument pas que le mariage d’une femme non vierge est nul, ni que la virginité est une qualité essentielle de la femme. Il dit ceci et rien d’autre. Madame Y… a menti à Monsieur X… sur un point qu’elle savait très important pour lui. Elle savait que si Monsieur X… avait su la vérité, il ne l’aurait probablement pas épousé. Et d’en tirer les conséquences légales que lui demandent les deux époux dans ce qui après tout est leur vie. »

Madame Rachida Dati – dont par ailleurs je vomis, entre autres, les décisions et projets concernant la prétendue réforme de la justice – a essayé, d’une toute petite voix, de faire entendre que, parfois, c’était le seul moyen pour les jeunes filles, d’échapper à la tutelle de la famille et au mariage forcé… Évidemment, elle a dû rapidement se taire, parce que l’Opinion Publique manipulée par les medias, la nomenclature politique institutionnelle, les familialo-dépendants avaient déjà décidé pour nous de ce qu’il convenait de penser : le fantasme de l’interdiction pour les non vierges de se marier avec en arrière fond la dénonciation de la mauvaise religion non occidentale…

Je n’ai pas d’opinion là-dessus – je veux dire sur les raisons qui ont poussé cette femme à se déclarer conforme aux souhaits de son futur – n’ayant encore une fois pas connaissance des faits et de l’historique de ce mariage. J’avoue d’ailleurs que je m’en contrefiche, cela ne me regarde pas. En tous les cas, ce n’est pas une raison pour bêler avec les moutons qui se prennent pour des loups.

Finalement, j’ai bien fait de rouvrir mon vieux Lagarde et Michard du XVIIIème pour y relire Fontenelle…

 

Le logo de l’article représente Pamela Anderson, dont le mariage a été annulé également, nous disent les gazettes … il n’est pas sûr que ce soit pour les mêmes raisons.

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complément d’information sur cette question :

En novembre 2008, nous informe le Figaro du 17 novembre de cette année là, la cour d’appel de Douai (Nord a annulé le jugement du tribunal de Lille du 1er avril annulant le mariage à cause du mensonge de l’épouse sur sa virginité. Les deux époux sont désormais remariés de fait, soulignant que «le mensonge qui ne porte pas sur une qualité essentielle n’est pas un fondement valide pour l’annulation d’un mariage», la cour d’appel a invalidé le jugement rendu le 1er avril par le tribunal de grande instance de Lille, qui avait annulé l’union pour «erreur sur les qualités essentielles du conjoint».

«Le mensonge prétendu aurait porté sur la vie sentimentale passée de la future épouse et sur sa virginité – qui n’est pas une qualité essentielle en ce que son absence n’a pas d’incidence sur la vie matrimoniale» explique la cour. «Le procès tel qu’engagé par le mari et le jugement rendu sont susceptibles de mettre en jeu des principes d’ordre public», note également la cour d’appel, qui a donc jugé recevable l’appel.

«Un arrêt inquiétant»

Cette décision est allée à l’encontre du souhait des époux qui avaient redemandé lors de l’audience à huis clos le 22 septembre l’annulation de leur union, mais pour d’autres motifs.

«Cet arrêt m’apparaît très inquiétant», a estimé Me Labbée, l’avocat de l’époux, jugeant que «nos libertés individuelles sont gravement menacées». «En déclarant recevable l’action du parquet dans un litige de pur droit privé relatif à l’intimité du couple, la cour d’appel de Douai a ouvert une porte: elle autorise désormais le parquet à contrôler les âmes et les consciences», ajoute l’avocat.

L’avocat de l’épouse, Me Charles-Edouard Mauger, avait lui aussi reformulé la demande d’annulation du mariage, lors de l’audience en appel, invoquant cette fois-ci le motif de non respect du mari envers son épouse. Le terme de «respect» est en effet inscrit dans la liste des obligations qu’ont les époux l’un envers l’autre (comme fidélité, assistance, secours…). Cette demande en annulation a également été rejetée par la cour d’appel.

La jeune femme,une étudiante infirmière d’une vingtaine d’années, avait été rejetée par son mari, musulman d’origine marocaine, un informaticien âgé d’une trentaine d’années, après qu’il eut découvert lors de leur nuit de noces qu’elle n’était pas vierge. Elle s’était dans un premier temps opposée à cette annulation, puis l’avait accepté devant la crainte d’une procédure trop longue, et afin de retrouver sa liberté.

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[1la répudiation est l’acte de renvoyer sa femme selon les règles établies par la loi religieuse.

La répudiation dans …la Bible : Deutéronome Chapitre 24, Verset 1 à 4 :

  1. Lorsqu’un homme aura pris et épousé une femme qui viendrait à ne pas trouver grâce à ses yeux, parce qu’il a découvert en elle quelque chose de honteux, il écrira pour elle une lettre de divorce, et, après la lui avoir remise en main, il la renverra de sa maison.
  2. Elle sortira de chez lui, s’en ira, et pourra devenir la femme d’un autre homme.
  3. Si ce dernier homme la prend en aversion, écrit pour elle une lettre de divorce, et, après la lui avoir remise en main, la renvoie de sa maison ; ou bien, si ce dernier homme qui l’a prise pour femme vient à mourir,
  4. alors le premier mari qui l’avait renvoyée ne pourra pas la reprendre pour femme après qu’elle a été souillée, car c’est une abomination devant l’Éternel, et tu ne chargeras point de péché le pays que l’Éternel, ton Dieu, te donne pour héritage.

dans le Coran :
- « S’il vous répudie, son Seigneur lui donnera peut-être en échange des épouses meilleures que vous… » – Surate 66:5
- « La répudiation peut être prononcée deux fois. Reprenez donc votre épouse d’une manière convenable, ou bien renvoyez-la décemment. » – Surate 2:229
- « Si un homme répudie sa femme, elle n’est plus licite pour lui, tant qu’elle n’aura pas été remariée à un autre époux. S’il la répudie, et qu’ensuite tous deux se réconcilient, aucune faute ne leur sera imputée … »- Surate 2:230

[2Il faut dire qu’il était coincé à la veille des élections au Conseil sarkozien des musulmans de France : faire moderniste, en perdant les voix des intégristes ou faire l’intégriste pour avoir du son …

[3Ah ! le monstre du Loch Ness de la « famille laïque » réapparaît …

[4Ah ! « la morale laïque », que de conneries on a pu dire en ton nom …

[5évidemment ici à ne pas prendre au sens de « qualité » versus « défaut »

[6Mais encore une fois allez voir son blog parce qu’il nous rafraîchit la tête avec plein d’autres problèmes concernant la justice en général, et ses acteurs en particuliers.